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A Nantes en ce dernier jour de janvier au Pannonica, Marc Ribot et son groupe Ceramic Dog ont fait trembler les murs pour une heure et demi et trois rappels d’un décrassage musical dont on se souviendra.

Ça se passe dans une salle assise de 500 places, pleine d’un public à l’image d’une musique inclassable. Bourgeois de gauche dans la fin de l’âge, trentenaires hipster venus pour le guitariste de Tom Waits et l’hybride punk, jazzeux pour la plupart musiciens eux-mêmes. Dès le premier morceau, Marc Ribot et les deux comparses de son groupe Ceramic Dog, Shahzad Ismaily (basse, claviers, percussions) et Ches Smith à la batterie, décoiffent ou plutôt scalpent, et jettent une incroyable énergie dans leurs instruments. Une alternance chaud-froid de la puissance d’un Led Zeppelin live mais concentré sur le contraste mélodique. Ribot prend une ligne très simple, souvent des restes de son Cubanos Postizos, l’amorce et active les têtes dodelinantes du public, mais aussi sec pirate cette évidence de bruits divers, qui eux-mêmes, bref et dur hiver sonore où le spectateur peut se sentir tout à fait agressé, redeviennent soudain une ligne claire qui canalise les oreilles et embarque de plus bel.

Le liant du groupe, c’est le batteur, Ches Smith, un grand type à l’air adolescent qui pourrait être agent d’assurance ou prof de sport. Son pedigree pourtant, du punk au jazz, en fait une pointure américaine des plus demandées Sa batterie elle-même paraît se méfier et un ensemble de cymbales flotte à une hauteur inédite au-dessus de sa tête. Quand le rythme est stable, ses coups de poignets ne payent pas de force, mais très vite il décoche une grande mandale en hauteur et les sons claquent avec une incroyable énergie et un charisme renversant alors même qu’il n’exprime pas d’effort ou de tension.

Ce n’est pas le cas de Marc Ribot, dont le cool n’exclut jamais de se tordre sur lui-même, enchaînant mélodies légères et explosions, distorsions et solos techniques, toujours recroquevillé sur sa chaise. Dans ce creuset d’influences unique qu’est Ceramic Dog, à traverser de si forts paysages sonores, Marc Ribot ne renonce jamais à ses élans de guitare hero, et ne cède pas non plus à s’écouter. Le pirate de la mélodie est loin de déposer les armes.

Enfin, troisième compère, Shahzad Ismaily a un physique lunaire et souriant, parfois absent, mais quand il chevauche un petit synthé criblé de fils, il pulvérise la salle entière d’un solo qui évoque la navette spatiale percée, la barre de mine et le cerveau dans le micro-onde. Il est bien l’un des leurs. Les mains sur les oreilles, pourtant beaucoup se lèvent et ne chavirent que pour entamer des danses libérées entre les fauteuils de la salle Paul Fort. Très fort.

• Camille Pollas

© RÉMI GOULET