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PAR ISABELLE DUTHOIT

La musique improvisée représente un petit ilot de liberté et de résistance face à la société de normalisation, de consommation et de communication dans laquelle nous vivons. C’est une pratique où il est possible de chercher, de rater ou de réussir, c’est à dire d’expérimenter.
Un espace où il est possible de venir d’univers très différents, de mixer des connaissances et des savoirs, d’élaborer ensemble, d’amener la pensée du son à bouger, et à travers le son approcher et imaginer le monde différemment.
Si on pouvait construire une société comme on invente une musique improvisée… elle serait certainement très harmonieuse car cette musique est une pratique sociale où il n’y a pas de hiérarchie, pas de leader et surtout, l’écoute en est son ossature.
L’écoute seule, mène la fabrication de cette musique. C’est sa philosophie. Elle est fondée sur l’écoute de l’autre autant que l’écoute de soi, et sur l’écoute de l’espace.
Il faut d’ailleurs que trois pôles : musicien·ne·s, auditeur·rice·s et espace, soient réunis pour qu’une improvisation puisse être totale. Pour moi cela pourrait être un modèle de savoir vivre ensemble. Apprendre à devenir soi, s’écouter tout autant que respecter l’autre dans ses différences… ce serait une belle direction à suivre. C’est cette philosophie qu’engendre la pratique de la musique improvisée, et c’est ce qui me plait plus que tout en elle.

Personnellement c’est aussi un espace de création où je peux évoluer. Il m’est difficile de laisser la trace d’une pensée musicale sur un papier. Quand je monte sur scène, il n’y a plus de retour en arrière, impossible de s’échapper, de fuir, il faut inventer là et maintenant, s’engager totalement dans l’instant et donner forme à ma musique.

« Si on pouvait construire une société
comme on invente une musique improvisée… »

Faire du mieux que je peux. Il faut se jeter dans le son, plonger dans soi-même, sans filet. Corps et esprit unis pour aller au plus secret de soi et chercher la vérité dans les profondeurs. Dans celles des autres tout autant que dans la sienne. Faire sonner le présent avec fragilité et force.
C’est un espace où seul compte l’instant, et où se joue ce qui nous habite, ce qu’on traverse, ce qu’on vit, ce qu’on cherche. Un espace éphémère où l’on prend la liberté d’être, pour tenter de tout donner à la rencontre qui se joue. Être attentif et réceptif à cette vibration qui se dessine entre nos corps et nos oreilles, et comme sur un fil de funambule, cheminer jusqu’au bout dans un lâcher prise et un équilibre subtil. Sentir la présence du présent et s’y abandonner totalement et le sublimer.

Il est absolument nécessaire de prendre soin de cette pratique, de laisser les portes ouvertes et lui laisser la possibilité d’expérimenter avec le public. Je crois qu’il est bon que les styles de musiques se côtoient pour partager leurs différentes recherches devant un public large, auquel on donne la possibilité d’être curieux. Il est bon de ne pas imposer de frontières et que les genres et les générations puissent évoluer ensemble en s’enrichissant dans l’échange et la mixité.

Pannonica fait partie de ces lieux où cette réception est possible, où l’on peut continuer à écouter, se réunir, penser, échanger, s’engueuler, se rabibocher, s’enlacer, s’aimer autour de l’invention, de l’expérimentation, de la création…de la vie. Il me semble que face à la standardisation du monde, il est absolument nécessaire de préserver des lieux comme celui-ci, tant ils sont vivants, sensibles et tout simplement libres.