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Samedi 21 janvier, Pannonica consacre une soirée à Carton records, un label lyonnais qui oriente ses productions autour de trois axes -croix/bâton/rond- de trois typologies de musique, entre folk, pop et noise. Rencontre avec son fondateur, le batteur Seb Brun, directeur artistique, artisan, tourné vers les musiques novatrices.

Comment est né le label Carton Records ?

C’est moi qui ai monté ça entre 2008 et 2009. À l’époque, je jouais dans différents projets. On a envoyé des maquettes à des labels qui nous répondaient : “ On n’a pas de temps, on n’a pas de sous. Ça ne nous plait pas…”.  Moi, je trouvais que la musique de ces trois projets, croix-bâton-rond, devait exister un peu plus. Je me suis dit : qu’est-ce que c’est qu’un label ? C’est d’abord un site internet avec des disques ! Vu les moyens qu’on avait, on a acheté des pochettes en carton qu’on a tamponnées, d’où le nom Carton… J’ai déménagé de Paris  à Lyon où se trouvent nos bureaux. On est une équipe de six personnes. Avec le label, on a aussi une activité de booking, on fait tourner des projets.

Et pourquoi cette symbolique “ Croix Bâton Rond” ?

Alors ça, c’est autre chose. On a donc trois séries : la série croix croix, la série bâton et la série rond. L’esthétique croix croix, c’est plutôt tout ce qui est musique expérimentale, noise, free jazz. Bâton, ce qui est plutôt ancré dans la tradition du rock, du folk, même s’il y a toujours un petit côté expérimental, et rond, ce sont des trucs qui font danser plus facilement. J’avais le sentiment que c’était important – en tout cas pour moi ça l’était- d’avoir ces trois séries là, même si souvent des gens jouent dans trois séries différentes. Mais ce qu’on défend, c’est plutôt comment les musiciens jouent, comment ils créent leur musique, s’en emparent, la modèlent, et comment ils travaillent cette idée-là, quelle qu’en soit l’esthétique. Mais voilà, ce label, c’est surtout comment on défend nos musiques. Et quelle que soit l’esthétique, les artistes de Carton sont plutôt des gens sans concession artistique, avec des projets assez radicaux. Après, il y a l’emballage qu’on en fait, l’esthétique…On a besoin de le ranger dans des cases. Mais au fond, les cases ne correspondent à rien du tout. Croix, rond, bâton, chacun a son imaginaire là-dessus. On a juste besoin d’un peu flécher tout ça pour le rendre soutenable, identifiable.

© Maxime Sève

Les pochettes ont un style très particulier. D’où vient ce choix ?

On a une charte graphique bien établie. Ce que les pochettes mettent en avant, c’est ce que les artistes choisissent, tout en s’intégrant dans cette charte graphique, ce qui fait que tout est homogène et que ça peut être inspirant. Un peu comme dans les labels à l’ancienne, on met l’étiquette, l’emballage, mais on ne choisit pas les photos.

Un extrait du catalogue Carton Records. Retrouvez l’intégralité ici

Carton a-t-il une autre manière de produire la musique que les autres labels ?

Je pense qu’on ne fait rien de plus que les autres labels. On fait même peut-être moins, en laissant un plus de marge aux artistes dans leur projet. En général, Carton produit des artistes qui vont au bout de leur projet artistique. Et on s’engage même souvent avant d’avoir entendu la musique. Ce sont des gens qu’on connaît, avec qui on a déjà travaillé, ou dont on a aimé le travail. Donc on part en confiance. Ils ont un produit qui est assez racé, je dis “produit”, c’est assez moche comme mot. Mais c’est un produit artisanal fait par des gens qui s’impliquent beaucoup, qui vont au bout de leur réflexion. En tant que label, on essaie d’aider les artistes à avoir les bons outils, on ne met aucun veto, on en parle un peu avec eux, puis après c’est parti. La production qui peut paraître homogène est très disparate. Mais c’est le fait de rassembler tous ces gens qui fait une identité commune.

Sur le site de Carton, tout est en anglais. Est-ce parce que vous travaillez aussi à l’international ?

Effectivement, pas mal d’artistes s’exportent, des projets qui  jouent à l’international. Mais, sur le site, les descriptifs des albums, c’est souvent deux lignes. Il y a surtout des vidéos, on donne à écouter et à voir. Et ça, ça marche dans toutes les langues.

Est-ce que Carton est économiquement viable ?

Carton c’est quelque chose de très familial, C’est une musique “de niche”. On ne fait pas d’argent, et l’humain est plus important que le reste. On n’est pas du tout payé à la hauteur de ce qu’on fait comme travail. Mais on sait que ce qu’on défend, c’est l’artistique. C’est un engagement. C’est assez raccord avec la musique, que plein de gens considèrent comme pas écoutable…

Carton a-t-il un lien avec le jazz ? 

Quasiment tous les gens du label viennent directement ou indirectement du jazz, qu’on a tous plus ou moins étudié. On ne fait pas du tout du jazz, mais on a le même rapport à la musique que les jazzmen des années 50-60. On vient aussi de la musique classique traditionnelle. Esthétiquement, aucun des projets ne peut être étiqueté “jazz”. Mais comme les jazzmen des années 60, on enchaîne les tournées dans toutes sortes de lieux.

Et toi, ta musique, c’est quoi ?

Je suis incapable de dire ce que je fais comme musique, je peux seulement te dire ce que je fais comme instrument. Je joue de la batterie avec pas mal d’électronique. Mais après, l’étiquette qu’on y met, ça interpelle l’imaginaire de chacun. On va tous y rattacher des choses. Pour ma part, je trouve que les étiquettes, c’est très limité. J’étais en tournée le mois dernier, dans des squats un peu partout en France et la musique qu’on défend, elle existe par là aussi. Elle est vraiment dans les trucs de scène alternative où il n’y a aucune concession, aucune attente du public.
Jouer dans un lieu étiqueté jazz ou musiques actuelles te fait entrer dans un système de consommation, où le public vient écouter du jazz et de la musique actuelle. Quand tu vas dans des lieux alternatifs, les gens viennent parce qu’il se passe des trucs. Du coup, la musique est beaucoup plus libre. C’est là où on rejoint un peu ce qui se passait dans le jazz avant que ça soit un truc très connu.

Ta plus belle expérience avec Carton ?

C’est la durée. J’ai monté ça tout seul il y a 15 ans. Et ça continue, et aujourd’hui on est six. C’est juste incroyable que ça existe dans la longueur encore et qu’on soit plusieurs. Ça tient dans le temps : c’est ça la plus belle expérience !

Quelque chose à rajouter ?

Oui, je voudrais parler d’une nouvelle venue au sein du label, qui, avec d’autres artistes représente un volet féminin que nous voulons défendre à tout prix. Il s’agit d’Emmanuelle Parrenin, une véritable icône qui a été la muse de plein d’artistes (NDLR: elle est à l’affiche de la soirée du 21 janvier). On fait son booking mais on n’a pas encore d’album avec elle. Je suis ravi qu’une dame comme elle nous rejoigne, car elle est là depuis 50 ans et a ouvert la porte à plein de gens. C’est comme une espèce de boucle, une validation de notre travail.

© Frédéric D’Oberland

Propos recueillis par Pat

Photo en couverture  © Paul Bourdrel

SOIRÉE
CARTON RECORDS

SAMEDI 21 JANVIER / 20H30
Ouverture des portes 20h
Pannonica