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INTERVIEW
Sarah Murcia : “Chaque projet c’est le plus beau!”

Sarah Murcia est, pour deux saisons, artiste associée au Pannonica. Deux saisons, pour avoir un aperçu de la multiplicité de ses projets.
Le samedi 18 février, la contrebassiste et chanteuse était là avec son quartet Eyeballing, composé de Benoît Delbecq (piano), Olivier Py (saxophone) et  François Thuillier (tuba).
L’occasion de faire un peu mieux connaissance.

Quel est le déclic qui vous a poussée vers la musique et a fait de vous cette multi-instrumentiste ? Et d’ailleurs, vous considérez-vous multi-instrumentiste ?
Multi-instrumentiste, oui, quand même. Mais je suis surtout contrebassiste. Et il n’y a pas eu vraiment de déclic. Mes parents sont très mélomanes et jouaient tous les deux de la guitare. La musique faisait partie de la vie. J’ai commencé le piano à 3 ans, à la maison, et j’en ai fait beaucoup, avec plaisir, jusqu’à l’âge de 15 ans. À la base, j’ai donc un bagage de pianiste. Je n’en joue pas sur scène, sauf bientôt avec Benoît Delbecq qui m’a écrit des morceaux pour piano, et j’en suis contente. Je suis passée par le Conservatoire régional de Boulogne. J’y ai fait du violoncelle et un prof génial, François Bou m’a fait rencontrer Jean-François Jenny-Clark.

© Christophe Guary

Le déclic pour la contrebasse, c’est après avoir vu Henri Texier en concert : je me suis dit que je voulais faire ça. J’avais 12 ans, j’ai demandé à mes parents qui m’ont dit : « Réfléchis bien, c’est trop gros, c’est trop cher, c’est trop lourd ». Et moi, au contraire, je trouvais ça cool que ce soit gros et lourd, et qu’on me remarque dans la rue avec. Et la contrebasse, ça a collé tout de suite. Du coup, j’en ai fait mon instrument principal.
Le chant, c’est encore autre chose. J’ai toujours chanté. J’ai joué dans un groupe qui s’appelait Las Ondas Marteles avec les frères Martel. On a fait un disque de rockabilly et un disque de reprises de musiques cubaines.  Et puis avec Fred Poulet, on a monté le groupe Beau Catcheur – on joue d’ailleurs au Pannonica le 8 juin.

Fred m’a fait chanter alors que je n’ai aucune technique de chant. Le fait de devoir chanter sans y être préparée oblige à être vite convaincant.  Mon rapport à la contrebasse en est devenu plus sain : j’ai osé faire d’autres choses, et prendre plus la parole, sans avoir peur de ne pas être à la hauteur de l’instrument. Maintenant je chante très souvent. J’aime les textes, même si je n’en n’écris pas. Mais j’ai toujours mis la littérature au-dessus de tout. Je suis très sensible aux paroles, ça donne du sens à ma musique. J’aime bien travailler avec des chanteurs.

Sarah Murcia en duo avec Kamilya Jubran.
© Christophe Guary

Vos projets s’inspirent souvent de groupes punk ou rock connus, je pense au Stoogees, aux Sex Pistols ou à Lou Reed. Pourquoi cet attrait pour l’écriture rock alors que vous semblez plutôt inscrite dans le monde du jazz ?
Je ne suis pas vraiment inscrite dans un monde. J’avais des parents qui écoutaient beaucoup de musique classique et de jazz et j’ai fait un cursus classique assez poussé en piano. Le jazz, c’est la musique qu’on écoutait à la maison. Mes parents m’emmenaient aussi à des concerts de jazz. Mais j’avais quand même envie de me rebeller. À l’école, j’étais un peu attirée par les voyous ; j’étais au fond de la classe, près du radiateur (tout en ayant quand même des bonnes notes, parce que quand même, faut pas exagérer !) Ce que je veux dire par là, c’est que j’ai rencontré plein de gens qui m’ont fait découvrir des tas de musiques. Mais le groupe qui m’a vraiment marquée quand j’étais gamine, c’est les B-52’s. Quand je les ai écoutés, je me suis rendu compte que tout était possible pour moi. Ensuite, je me suis mise à écouter beaucoup de rockabilly et de psycho.

C’est quoi le psycho ?
Le psycho, c’est comme du punk mais bien joué. Une sorte de rockabilly accéléré avec des musiciens très compétents mais très sauvages, du genre à sauter partout, avec des crêtes vertes. J’aimais des groupes comme Batmobil, les Météors ou les Cramps. J’ai aussi écouté les Stooges, mais pas trop les Sex Pistols : je n’écoutais pas de punk. L’histoire avec les Sex Pistols, c’est que le Théâtre de la Cité internationale a proposé à Caroline, mon autre quartet (avec Gilles Coronado, Franck Vaillant et Olivier Py) de reprendre un album culte. Le choix était large ! Le titre Nevermind the Bollocks s’y prêtait bien : écriture très serrée, toujours la même chose, tout le temps le même morceau, ça parle tout le temps des mêmes trucs. J’aime la chanson, j’aime le rock, j’en ai toujours joué et j’en joue toujours comme avec EyeBalling. Je fais beaucoup de reprises de titres que je modifie énormément.

Comme le projet avec l’Orchestre National de Jazz ?
Oui, ils m’ont demandé de participer à ce projet autour du rock progressif, une musique que j’ai beaucoup écoutée à l’adolescence. Surtout King Crimson, Van der Graaf Generator et aussi Magma. J’ai fait deux arrangements de King Crimson en essayant d’apporter mon regard. Un très bon exercice, mais pas facile. L’ONJ étant un très bon orchestre, c’est vraiment réussi !
Avec les reprises, il y a quelque chose de l’ordre de l’inconscient collectif. Quand les gens se rendent compte qu’ils connaissent le morceau, on peut l’emmener très loin, tout en maintenant un lien avec l’auditeur. C’est à la fois un repère musical et émotionnel. Je suis un peu un « jukebox » permanent mais ça ne m’empêche pas d’écrire de la musique originale.

En 2017, vous avez formé Eyeballing, en conviant vos complices Benoît Delbecq, Olivier Py et François Thuillier. Dans ce quartet, vous utilisez beaucoup les textes du chanteur et compositeur Vic Mohan. D’où vient cette envie ?
Vic est un chanteur avec qui je travaille depuis longtemps. Je l’ai invité dans divers projets. J’aime beaucoup sa poésie, sa façon d’écrire. Ses textes ne traitent pas de sujets en particulier ; c’est à chaque fois une suite d’images. Il fait appel à des choses très référencées qu’on ne saisit pas toujours, par exemple des répliques de film. Il sait parler des petites choses du quotidien, et ça j’aime bien. On a pris l’habitude qu’il m’envoie des tonnes de textes dont je retiens trois phrases, en me disant, tiens, ça, ça m’intéresse ! À partir de là, on fait des allers-retours, on tripatouille jusqu’à ce que ses textes deviennent finalement les miens. On en fait des chansons qui me ressemblent, à partir de textes qui lui ressemblent aussi.

Le quartet Eyeballing, samedi dernier / © Christophe Guary

Votre plus beau projet, vos plus belles émotions ?
Question difficile. À chaque fois que je fais un truc, c’est le plus beau ! En ce moment, je joue dans l’ONJ de Fred Maurin avec le projet de Steve Lehman. C’est une des plus belles choses que je n’ai jamais faite. Mais je commence aussi un groupe avec le trio de Benoît Delbecq et Steve Argüelles, et c’est génial ! Et puis EyeBalling, mon groupe préféré. Et mon autre groupe, Caroline, c’est aussi mon groupe préféré. Il y a aussi Beau Catcheur, avec Fred Poulet. À chaque fois que je fais un truc, si ce n’est pas mon meilleur projet, ça n’est pas la peine de le faire ! Et j’aime aussi les projets des autres. Par exemple, celui  de Steve Lehman est aussi important pour moi que si c’était mon projet. Et puis les groupes que j’ai faits avec Magic Malik ou le duo avec Kamilya Joubran. J’aime tout à égale proportion. Je ne fais que des choses exaltantes, je suis trop contente !

Propos recueillis par Patrick Berthou

Sarah Murcia / Son disque de chevet
“Step Across the Border, de Fred Frith ; Laughings Stock de Talk Talk ; l’intégralité de la discographie de Bob Marley. Ce sont les trois premiers auxquels je pense.
Il y a aussi Le Village Vanguard de Bill Evans et The Individualism de Gil Evans. Et puis Miles in the Sky. Ce sont les disques que j’écoute depuis toujours.
Et puis bien sûr, Planet Claire des B-52’s, mon premier disque de liberté !”