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Le vendredi 23 mai, Pannonica a accueilli une soirée autour des musiques improvisées électroacoustiques et acousmatiques avec le duo formé par la contrebassiste Sarah Clénet et Aude Rabillon aux machines, puis la pianiste Sophie Agnel en solo.

La soirée débute lorsque Sarah Clénet enlace amoureusement sa contrebasse et la caresse doucement à l’aide d’une paire d’archets, à côté d’elle Aude Rabillon, presque immobile debout derrière ses machines, malaxe des ambiances sonores avec de petits gestes précis. L’essence immatérielle des instruments électroniques fait qu’on est à peine surpris lorsque les ambiances se font enveloppantes grâce au son diffusé en quadriphonie. La contrebasse prend vie et émet des pleurs douloureux lorsque son gros ventre est frotté d’une boule de caoutchouc, elle semble haleter lorsque ses cordes sont caressées par le crin brut hors du cadre de l’archet. Le concert est une succession de tableaux sonores où la contrebasse semble s’animer. Tantôt flâneuse, tantôt inquiète, elle erre à travers la ville et ses environs. On l’imagine ludique dans une cour d’école, rêveuse au clair de lune bercée par le sifflement des grenouilles, ou désorientée dans la cacophonie agressive d’une fête foraine… Émotion du départ ou chagrin d’amour, elle finira le set par des gémissements. Dans un coin de la scène comme un grand cheval raide caparaçonné dans un grand drap noir, le piano attend son heure…

On le traîne bien en évidence au centre de la scène, son couvercle bien lustré et largement ouvert offre une vue inhabituelle sur l’intimité de ses entrailles métalliques aux spectateurs étonnés de le voir de profil, lui qui joue habituellement de trois quarts. Chaussée de bottes rouge façon cowgirl, Sophie Agnel déballe ses outils de dressage. Elle est venue dompter la bête : le second set de soirée peut commencer. 

Dans un énorme roulement métallique, on assiste médusé au ballet d’une boîte de sardines cabossée pourchassée par les marteaux du piano. Il y a dans ce début de concert la fougue et la rage âpre des enfants qui s’ennuient et la violence des terrains vagues transformés en terrain de jeu. C’est avec un tampon feutré que Sophie Agnel penchée sur sa monture en étouffe les cordes pour calmer les ardeurs. Le piano garde néanmoins sa fougue et ses notes distordues par une pédale d’effet superposé au son direct lui adjoignent un double maléfique et ricanant. Comme des reflets dans un miroir déformant, les esprits entrent dans la transe…

Vers la fin du set, le chant fantomatique de la mère de Sophie Agnel (une archive familiale de 1958) s’élève du fond de la scène. Peu à peu, malgré quelques ruades, la mélodie calme le piano qui se cale sur cette fragile musique surgie du passé.

La soirée prend fin comme on se réveille d’un songe. On médite incrédule sur ce qu’on croit avoir vécu. Perplexe, on se dirige vers la scène : le piano fourbu et couvert d’une écume d’objets hétéroclites nous dit qu’il aura du mal à s’endormir. Pour se remettre de ses émotions, il rêve d’interpréter un nocturne de Chopin. En coulisse, insensible à tout ce qui l’entoure, la contrebasse ronfle tranquillement dans son étui capitonné.

• Nicolas le Grizzly

CRÉDIT PHOTO © REMI GOULET