Il y a désormais deux catégories d’aficionados au Pannonica : ceux·celles qui ont vu James Brandon Lewis le vendredi 25 avril 2025 et les autres, les absent·es, ceux qui avaient autre chose à faire ce soir-là, ceux·celles qui pensaient qu’on pouvait passer à côté de ce maître new-yorkais du saxophone ténor. Grave erreur. James est un géant du jazz moderne, un souffleur dont l’énergie débordante sur scène a mis tout le monde d’accord.
La soirée, généreuse, a débuté par une entrée en matière toute en nuances avec Ahmed Ag Kaedy, guitariste et chanteur malien, et Will Guthrie, batteur et percussionniste australien, ligérien d’adoption, bien connu des habitués du lieu. Ils étaient là pour présenter leur projet commun, « Tidawt », vendu après le concert au sous-sol dans un splendide et vintage format K7. Les deux musiciens ont égrainé leur blues touareg, Guthrie apportant aux mélopées de Kaedy un ressort bienvenu.
La première mi-temps avait été douce et le public de Paul Fort, raisonnablement garni, n’avait pas encore conscience en sirotant sa bière de la claque qui l’attendait pour la seconde. Il y a sûrement déjà eu un ouragan portant le nom de James. Eh bien, il y en a désormais un qui porte celui de James Brandon Lewis. Il a déferlé dès les premières notes du concert sur le public bien élevé et peu habitué à être ainsi décoiffé en milieu protégé.
Accompagné par Josh Werner, bassiste chapeauté au groove patenté et Gerald Cleaver, batteur précis et concis, le saxophoniste ténor est rentré sans ménagement dans le vif du sujet : exposition du thème, rapidement identifiable à la manière d’un Coltrane, suivi d’une exploration tantôt labyrinthique, tantôt éruptive. Un modus operandi qui reviendra tout au long du concert, sans jamais lasser. Les morceaux sont amples. Ils excèdent pour la plupart les dix minutes. Les trois musiciens prennent le temps de l’improvisation, s’embarquant à tour de rôle dans des solos brillants et inventifs, mêlant au jazz les breaks du hip hop et du funk.
Le concert dure, la magie opère. L’intensité qui se dégage de la scène gagne le public, qui renvoie au groupe un engouement ascendant, voire ascensionnel. Le sentiment d’assister à un moment exceptionnel est palpable chez les spectateur·rices. Le trio aborde également la balade, démontrant ainsi l’étendue de son registre.
James prendra un temps le micro pour présenter ses musiciens et expliquer que les tracks joués sur scène figurent sur leur dernier album, Apple Cores, un hommage à l’esprit et au feeling du cornettiste Don Cherry. Le show se terminera avec un rappel. Un concert de quatre-vingt-dix minutes bien copieux : le talent et le partage, les mamelles de la great music !
Alors qu’il se désaltère en toute simplicité d’une canette de Perrier au bar du Pannonica, on demande à JBL dans un anglais ânonné quels sont ses maîtres souffleurs. Enumérant tous les virtuoses du saxophone que compte le vingtième siècle (Coltrane, Parker, Rollins, Sanders…), il précise qu’il y a du bon à prendre chez tous et avoue être animé d’un appétit gargantuesque d’expériences et de collaborations. Et, que ce qui le meut, citant Bergson*1, en français, c’est « l’élan vital » que lui procure l’acte de création.
Pierre Desproges proposait de vivre heureux en attendant la mort, James Brandon Lewis est d’avis, lui, de s’abandonner corps et âme à la musique. Le souffle, c’est sa vie !
• John Do(ltrane)
*1 Henri Bergson, philosophe français 1859/1941.
CRÉDIT PHOTO FRED LOMBARD / INDIE MUSIC