Pannonica a mis le cap à l’ouest début octobre, direction l’Illinois aux States, en bordure du lac Michigan, pour honorer l’un des fleurons de la scène musicale chicagoane.
Le mercredi 8 octobre, la mise en bouche :
The Bridge #2.13
Rendez-vous bien installé sur la scène du Panno depuis des années, à raison de deux soirées par an, le réseau transatlantique The Bridge présentait cette fois cinq gaillards – deux Américains, Jeff Albert (trombone) et Lenard Simpson (saxophone alto) et trois Français, Paul Wacrenier (piano), Christian Dillingham (contrebasse) et Nicolas Pointard (batterie).
C’était le troisième concert de la tournée, riche de dix dates. Deux jours plus tôt, ils n’avaient jamais joué ensemble -c’est le concept- et force est de constater que la mouture a déjà pris forme. La musique jouée est cohérente et chaque musicien semble avoir trouvé sa place dans ce combo improvisé. La soirée va se dérouler en deux actes de durée à peu près équivalente. Le premier se déroule sans anicroche, mais sans réelle passion non plus, au fil de trois longues plages, dont la sempiternelle exploration façon musique concrète par chaque musicien de son instrument.
C’est l’arrivée d’un invité surprise, qui va dynamiter la soirée. Sylvain Kassap, armé de ses trois clarinettes (un chalumeau, une clarinette et une clarinette basse), va, par son engagement, apporter une dynamique et un supplément d’âme au groupe devenu sextet. Quand l’invité surprise devient l’élément clé du programme…
Le vendredi 10, le plat de résistance :
Ben LaMar Gay Ensemble
Le grand soir, déjà, en tout début de saison. Du moins c’est ce qu’on subodore devant la scène prête à accueillir les quatre musiciens du BLGE, notamment la table qui trône au devant, sur laquelle reposent les armes du leader – un cornet bien sûr, mais aussi un clavier et des percussions diverses. À gauche de cette table, un sousaphone, énorme, qui vrombira bientôt au souffle de Matthew Davis.
On le pressent aussi en écoutant le murmure des conversations du public çà et là, au son de Maodea, pousse-disques nantais qui ouvre et clôturera la soirée. Sa sélection fait honneur aux artistes du label de Chicago International Anthem et plus globalement aux artistes emblématiques de la ville. L’attente est à son maximum:.on a déjà vu Ben LaMar Gay sur la scène du Panno, en avril 2024 notamment, accompagnant le batteur Mike Reed autre figure de la scène jazz de Chi-town, mais jamais pour défendre son projet homonyme.
Que dire? La musique de Ben LaMar Gay est inclassable. C’est un melting pot, empruntant tout à la fois à la poésie, au jazz, au blues, au gospel, aux brass-bands de la Nouvelle Orléans, à l’électro, au hip hop… Elle est incantatoire, tribale, puissante, envoûtante, intrigante, en un mot unique. Dans sa tenue de scène, casquette souple à longue visière et veste cintrée, cornet et maracas en main, Ben a l’allure d’un général guidant ses troupes vers une unité bienfaitrice ; un griot militant qui, à travers sa musique, célèbre la fraternité. Le public est au diapason, à l’écoute, réagissant aux moindres méandres et bifurcations du quartet, maintenu en haleine permanente par le chant vibrant qui lui est brossé.
Ce fut un grand soir, et si Ben LaMar Gay est un grand musicien, c’est aussi un conteur hors pair, qui par son sens de la mise en scène pourtant très sobre et son sens de la narration articule remarquablement son set, aidé par ses trois lieutenants, totalement investis. Tommaso Moretti, le batteur, en est la boussole, tant les percussions, avec le chant, sont le moteur du projet. Edinho Gerber remporte la palme du guitariste de jazz le moins démonstratif (ce qui est tout sauf une critique). Il est d’une subtilité qui épate, au fervent service de la musique produite. Quant au tubiste Matthew Davis, beau gosse de la bande, les murs du Panno résonnent encore de sa « gravitude » (comme aurait dit Ségolène Royal).
Pour finir, une anecdote qui témoigne de la bonhomie de la soirée. Devisant avec BLG après le concert, tout en jouant disques et productions, Maodea l’interroge sur le morceau qu’il passe. Le cornettiste ne le reconnaît pas de prime abord. Il s’agit pourtant de l’un de ses titres, « Bang melodically bang », que Maodea a retravaillé. Un remix en première mondiale au Panno !
• Jean Do reconnaissant